Au commencement, je rêvais d’elle…
je pouvais voir ses traits avec précision, j’entendais la clarté de sa voix et
sa présence était plus que palpable.
Désormais maman n’est plus qu’une
masse sombre et informe au milieu de mes songes. Je ne la vois plus, je ne
l’entends plus, je ne la sens plus. Comme si elle s’était enfoncée trop loin
dans les cimes.
A défaut d’un deuil parfaitement
maîtrisé, j’ai laissé venir l’oubli. Une illusion très amère… à l’image de ce
ciel qui prend tout et ne rend rien.
Une fois encore, j’ai le cœur en
miettes. Ce n’était pas qu’un chien. Sa perte vient rouvrir avec la dextérité
d’un scalpel la plaie à peine refermée.
Ce n’était pas qu’un chien. Il
avait été le sien autant que le mien. Nous étions liés par le souvenir de ces
jours heureux. Je sais qu’il avait souffert de sa perte, je savais en plongeant
mon regard dans ses yeux étincelants qu’il me faisait confiance et que j’étais
devenue sa seule ancre dans ce monde éphémère.
Je n’ai véritablement personne
pour discuter de ma mère et vivifier son souvenir. Les uns ont refait leur vie,
les autres ont la mort en horreur, redoutable tabou, et certains souffrent
encore avec trop d’aigreur… Je crains de remuer la lame dans la blessure
toujours béante. J’ai honte aussi d’exhiber ma douleur, de ne pas incarner la
dignité du deuil, de ne pas montrer ce visage de marbre, l’élégance froide de l’héroïne
d’un roman. Je me tourne en moi-même tandis que les larmes ruissellent sur mes
joues, les brûlant de leur sel.
Ce n’était pas qu’un chien, c’était
mon compagnon de galère. Il savait me réconforter par sa seule existence. Je
glissais mes doigts dans sa fourrure, douce, soyeuse, j’y cherchais la chaleur
maternelle et j’y trouvais un foyer. Je ne l’ai pas vu vieillir, je croyais dur
comme plume que le moment des adieux viendraient tard, si tard qu’il se
confondait en jamais. Je l’ai cru immortel comme je la croyais invincible.
Impossible que le trépas frappe le toit de ma maison, pas si tôt, pas en ces
circonstances. Naïveté de ma part. La foudre est bien capable, cruelle, d’embraser
deux fois le même arbre…
Je me souviens de ces torrents de
pleurs versés lorsqu’elle est morte. Ils avaient consumé la combe de mes yeux
et depuis le moindre sanglot vient réveiller l’incendie. Ma peau est une terre
brûlée qu’un soleil de plomb noircit comme pour en faire du charbon. Ce n’était
pas qu’un chien.